top of page

Mort en direct d’un streameur

  • jatzjatz
  • 27 août
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 août

Quand la réalité tragique de Jean Pormanove rejoint la fiction de Quentin Dupieux 


photographie du streameur Jean Pormanove avec un casque audio et un micro

Une nouvelle fois, la réalité dépasse la fiction. Le 18 août dernier, le streameur français Jean Pormanove est mort en direct sur la plateforme Kick, après des mois de maltraitances et d’humiliations infligées par ses « camarades » de live. La presse a largement documenté cette horreur : un homme fragile psychologiquement, pris au piège d’un duo sadique, instrumentalisé pour divertir et récolter des dons d’une audience complice.


Cette réalité sordide fait douloureusement écho à L’Accident de piano, le dernier film du réalisateur Quentin Dupieux, parabole grotesque et pourtant si lucide sur les ravages et les dérives de la course aux likes, auquel j’ai consacré un récent billet de blog : Ce que « L’Accident de piano » de Quentin Dupieux dit de notre époque, Célébrité autoproduite, voyeurisme et réseaux sociaux »


Fiction et réalité : une proximité inquiétante


Dans le présent article, je veux souligner les parallèles glaçants entre la fiction sortie sur les écrans au début de l’été et la réalité sordide du fait divers qui fait la une des journaux en cette fin d’été.


Dans le film de Dupieux, Magaloche, influenceuse insensible à la douleur, fait de ses mutilations un spectacle. C’est elle qui tire les ficelles, dans une logique certes pathologique, mais autonome.


Dans la vraie vie, la personne décédée, le streameur Jean Pormanove, est visiblement un homme vulnérable, exploité par d’autres et poussé dans une dynamique d’avilissement aux limites sans cesse repoussées. Le journal d’investigation Médiapart, qui a visionné les deux cent quatre-vingt-dix-huit heures du live stream fatal sur la plateforme Kick, décrit les insultes, les faits de maltraitance et d’humiliations infligées à la victime au demi-million d’abonnés. Une lecture difficilement supportable.


Ce qui rapproche ces deux univers, c’est la logique même des plateformes : faire de la souffrance et du voyeurisme des leviers d’attention et de monétisation. Instagram dans un cas, Kick dans l’autre. L’algorithme n’a que faire de l’humain : il récompense l’excès.


La fiction de Dupieux illustre l’absurde d’une influenceuse qui choisit d’exploiter son corps comme ressource. La réalité de Kick montre l’ignominie d’un groupe qui exploite la fragilité d’autrui.


Une responsabilité partagée : bourreaux, plateformes, spectateurs

 

Ce drame ne doit pas être réduit à un simple fait divers sordide. Il interroge la responsabilité collective à plus d'un titre.


Au premier chef, bien entendu, il s'agit de la responsabilité des bourreaux, car il est bien difficile d’utiliser un autre qualificatif pour désigner ces personnes sans scrupule qui ont exploité et maltraité un homme fragile pour monétiser sa souffrance en tout hypocrisie.


La responsabilité de la plateforme Kick ensuite, réputée pour sa complaisance en matière de modération des contenus et déjà épinglée à plusieurs reprises par des défenseurs des droits. 


Mais aussi la responsabilité des spectateurs, qui en regardant, commentant, et encourageant ces contenus, ont entretenu cette spirale mortifère jusqu’à son issue tragique.   Car, non contents de visionner ces contenus sordides moyennant un abonnement, certains spectateurs encourageaient, dans leurs commentaires et par leurs donc ponctuels,  la réalisation de sévices toujours plus avilissants. A la fin du long direct marqué par la mort du streamer, une cagnotte apparaissant sur la vidéo comptabilisait la somme de 36 000 euros.


La justice française a été saisie. Espérons qu’elle aille jusqu’au bout, en appliquant l’arsenal pénal déjà existant, mais aussi en s’appuyant sur le Digital Services Act européen, censé contraindre les plateformes à une modération efficace des contenus.



À quand le prochain dérapage ?


Entre la satire noire de Quentin Dupieux et la mort bien réelle de Jean Pormanove, la frontière entre fiction et réalité se brouille dangereusement. Dans les deux cas, ce sont les réseaux qui fournissent l’arène où se joue la pièce : exhibition, souffrance, voyeurisme, monétisation. Le cinéma avait l’excuse de l’absurde. La réalité, elle, n’a pas d’excuse.  


Comme l'écrit le journal Le Monde dans son édito daté du 22 août consacré à cette sombre histoire : "Le voyeurisme et l’attrait pour les spectacles dégradants ne sont pas nouveaux. Mais la manne drainée par le streaming et l’anonymat de l’Internet décuplent le risque de dérive. La mort de Jean Pormanove sonne comme un lourd signal sur la perte de repères fondamentaux et un appel urgent à faire cesser l’irresponsabilité des hébergeurs de contenus qui prospèrent sur l’exploitation de la face sombre de l’être humain." tout est dit.

 

Pour aller plus loin :


Les 12 jours de sévices qui ont précédé la mort de « Jean Pormanove ». Mediapart, Youmni Kezzouf, 20 août 2025


Qu’est-ce que Kick, la plateforme sur laquelle est mort le streameur Jean Pormanove ?, Le Monde, Olivier Clairouin et Damien Leloup, 19 août 2025

Commentaires


IMG_1666_recadree_vive.jpg

Jean-Alexis Toubhantz

  • LinkedIn Social Icône

Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

Abonnez-vous
au feed

Merci pour votre envoi

Votre avis m'intéresse

Merci pour votre envoi

© 2023 par Bleu céleste. Créé avec Wix.com

bottom of page