Airbnbisation en Suisse
- jatzjatz
- 23 mars
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Dernière mise à jour : 23 mars

Dans un précédent article, je m’étais penché sur les ravages de l’Airbnbisation dans plusieurs capitales européennes, entre gentrification accélérée, raréfaction du logement abordable et transformation des centres-villes en décors de carte postale pour touristes en goguette. Il serait naïf de croire que la Suisse échappe à cette dynamique. Car derrière ses façades bien ordonnées et ses chalets ripolinés, la Confédération helvétique connaît, elle aussi, une mutation profonde de son marché immobilier sous l’effet du boom de la location de courte durée que cet article s'efforce de mieux caractériser. Un focus particulier sera porté sur Genève, ma ville d'élection. En effet, la métropole du bout du lac, championne suisse de la pénurie de logements, incarne à merveille toutes les contradictions de l'Airbnbisation et la difficile mise en œuvre d'une régulation juste et efficace.
Une explosion du marché de la courte durée malgré les garde-fous
Commençons par le constat chiffré. Selon les données du cabinet AirDNA, relayées par le journal 24 Heures dans un article éclairant[i], le nombre de logements disponibles sur Airbnb a augmenté de 34 % en Suisse depuis 2019. Un chiffre qui en dit long sur l’attractivité de cette formule, malgré le trou d’air du tourisme international des années 2020-2021 lié à la pandémie du Covid19. Une évolution qui pointe aussi l’inefficacité relative des politiques de régulation mises en place depuis quelques années.

À Genève, la situation paraît plus contenue : la ville affiche 20 % d’annonces Airbnb en moins qu’en 2019, grâce notamment à la règle des 90 jours, en vigueur depuis 2018. Celle-ci interdit aux particuliers de louer leur logement plus de trois mois par an sans changement d’affectation du bien (et donc transformation en local commercial). Pourtant, comme le montre le graphique tiré des données AirDNA, la tendance est repartie à la hausse depuis la fin de la pandémie. La bête semble blessée, mais certainement pas terrassée.

Professionnalisation : quand la réglementation favorise les plus forts
Les dernières données confirment une autre évolution notable : la part des loueurs professionnels ne cesse de croître, particulièrement dans les destinations touristiques comme Interlaken, Lugano ou Lucerne, mais aussi à Genève et Zurich. Ces profils professionnels, facilement identifiables par le nombre élevé de biens loués, représentent désormais la majorité des offres dans plusieurs villes comme l’illustre un autre graphique tiré des données d’AirDNA.

Un paradoxe que n’a pas manqué de souligner Stefan Kirchner, professeur à l’Université technique de Brandebourg, cité par 24heures : « Les réglementations ont un effet dissuasif, mais surtout sur les plus petits fournisseurs. […] Les plus grands fournisseurs ont suffisamment de capital pour s’adapter. » Autrement dit : le petit propriétaire est freiné, le grand investisseur prospère. Résultat ? Un marché de plus en plus concentré, opaque et difficile à contrôler.
Des règles, mais peu de moyens pour les faire respecter
À Genève, malgré l’existence d’une législation théoriquement stricte, les abus persistent. Faute d’y consacrer les moyens suffisants, le législateur s’en remet aux dénonciations citoyennes (sic !) pour lui signaler les manquements aux règles établies, notamment le plafond de 90 jours. « Il n’est donc guère possible de surveiller les nouvelles règles », résume avec une lucidité désarmante Roland Schegg, professeur à la Haute École spécialisée de Suisse occidentale, cité par 24heures.
Le contraste est frappant entre les menaces d’amendes allant jusqu’à 50 000 francs en cas de récidive et l’impossibilité chronique de faire appliquer la loi. À quoi bon édicter des règles si leur application dépend du zèle d’un voisin tatillon ? Un groupe de travail réfléchirait bien à un système d’enregistrement obligatoire des hôtes, mais comme souvent en Suisse, la prudence réglementaire semble l’emporter sur la volonté politique.
Une votation fédérale symptomatique d’un malaise plus profond
Dernier rebondissement en date : le scrutin du 24 novembre 2024, qui proposait de durcir les règles en matière de sous-location. L’objectif affiché : mieux encadrer les abus, y compris ceux liés aux plateformes comme Airbnb. Las, le peuple a rejeté le texte. Les partisans n’avaient peut-être pas visé juste : en focalisant leur discours sur les locataires indélicats, ils ont laissé les véritables opérateurs du système – professionnels bien organisés et juridiquement blindés – hors de la ligne de mire.
Airbnbisation en Suisse : la bataille ne fait que commencer ...
Genève, à l’image de nombreuses villes européennes, est confrontée à une tension croissante entre attractivité touristique et droit au logement. Les mesures prises jusqu’ici relèvent souvent du pansement sur une jambe de bois : trop timides, mal ciblées, peu contrôlées. Pendant ce temps, Airbnb continue de prospérer, occupant des pans entiers du parc immobilier, au détriment de ceux qui cherchent à se loger durablement.
Oui, des efforts existent, notamment dans les grandes métropoles comme Genève et Zurich. Mais à l’échelle suisse, la réponse reste encore largement en deçà de l’enjeu, notamment dans les régions alpines tirant une part substantielle de leurs revenus de l’activité touristique. Une régulation plus ambitieuse – et surtout mieux dotée en moyens de contrôle – sera nécessaire pour contenir l'Airbnbisation du marché immobilier suisse, un phénomène dont les effets sociaux, économiques et urbains sont désormais bien documentés à l'échelle mondiale.
En attendant, les touristes dorment tranquilles. Les locataires, un peu moins.
[i] Airbnb occupe de plus en plus les précieux espaces habitables en Suisse, Dominik Balmer et Svenson Cornehls, 24 Heures, https://www.24heures.ch/airbnb-analyse-de-donnees-sur-le-tourisme-de-masse-851495832022,
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