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Un soir avec les impressionnistes en réalité virtuelle

  • jatzjatz
  • il y a 2 jours
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Quand l’expérience immersive en réalité virtuelle complète et prolonge l’expérience muséale, la médiation traditionnelle et l’approche documentaire


une interprétation par l'auteur de ce blog du célèbre tableau de Monet Impression soleil levant

Cet article s’inspire d’une expérience immersive en réalité virtuelle que j’ai vécue cet automne lors d’un séjour en famille à Lyon. Intitulée « Un soir avec les impressionnistes – Paris 1874 », l’expérience immersive nous propose de découvrir la naissance de l’impressionnisme. Peu familier de cet univers de la réalité virtuelle (ou VR pour Virtual reality), je dois reconnaitre que cette expérience m’a littéralement bluffée par le réalisme des reconstitutions et la qualité du scénario. Sans concurrencer d’autres types d’expérience, comme la classique visite d’une exposition, ou le visionnement d’un biopic ou d’un documentaire, la réalité virtuelle se positionne comme une expérience d’un type nouveau avec sa propre valeur ajoutée. En immergeant les spectateurs au cœur de l’expérience vécue, la réalité virtuelle offre une proximité inédite avec les œuvres d’art, leur créateur et le contexte de leur création, loin de l’expérience parfois dégradée qu’on peut vivre dans un musée surfréquenté à l’approche de ses œuvres les plus emblématiques. 

 

Ainsi, je vous propose de revenir en détail sur mon expérience, de la mettre en perspective avec d’autres types d’expériences culturelles (expositions, musées, films, documentaires) puis d’ouvrir la focale en m’intéressant au modèle économique d’excurio, l’entreprise qui a développé cette expérience. Je montrerai comment le succès de cette start-up française peut se comprendre dans le contexte plus large des investissements colossaux dans la réalité virtuelle effectués par les géants du numérique au cours des cinq dernières années, mais aussi par le partenariat fécond tissé par la start-up avec de grandes institutions culturelles françaises.

 

Retour sur ma première expérience de la réalité virtuelle

 

L’expérience commence dans un grand centre commercial de Lyon. Entre une enseigne de prêt à porter et une franchise de restauration, une arcade nous invite à vivre une expérience immersive dans les profondeurs de la pyramide de Kheops, de revivre un mystère du Moyen-âge sur le parvis de Notre Dame, ou encore de batifoler dans les hautes herbes au Plénostène entourés de Dinosaures..

 

La perspective d’ « une soirée avec les impressionnistes » a retenue l’attention de ma douce moitié quelques jours avant notre séjour à Lyon, et nous voilà, dûment munis de nos précieux sésames, prêts à participer à cette expérience hors du commun en compagnie de nos ados de 16 et 14 ans

 

Les préparatifs vont bon train. Après un rapide check-in de type aéroportuaire, nos effets personnels mis sous clés (portable compris), nous voilà munis de nos casques de VR et briefé par le personnel de bord.  Un brief sommaire, qui comme dans un vol aérien, se focalise principalement sur les consignes de sécurité.

 

Et c’est parti ! et la magie opère dès la 1ère seconde. Nous voilà plongés sans coup férir au pied de l’Opéra Garnier, incarnation de ce Paris haussmannien encore tout neuf en 1874. Un rapide tour sur nous-même nous permet d’embrasser la totalité de la place de l’Opéra avec un réalisme époustouflant. La chaussée est humide, le pavé brillant, un omnibus patiente à quelques pas, des pigeons prennent leur envol au passage de quelques badauds qui flânent en direction du boulevard des italiens.  Waow !

 

Et voilà notre guide qui entre en scène : c’est une pétulante grisette un peu cabotine au visage certes un peu figé, comme dans une animation pixar, mais qu’importe ! passées les présentations, nous empruntons très vite ses pas le long du boulevard des Italiens.

 

Rendez-vous est pris de l’autre côté du boulevard à l’Atelier du célèbre photographe Nadar, comme l’indique une impressionnante enseigne lumineuse en néon rouge, un peu anachronique, mais du plus bel effet. A l’intérieur, s’y tient le fameux salon des refusés de 1874, organisé par ceux qui ne s’appellent pas encore les impressionnistes, en réaction au conformisme des peintres du Salon officiel. 

 

Notre jeune guide nous introduit auprès du propriétaire des lieux, Nadar lui-même, vite rejoint par les jeunes Monet, Renoir, Sézanne, Degas ou encore Berthe Morisot.  Tour à tour, ces derniers nous parlent de leur travail et nous présentent une sélection des œuvres qu’ils exposent.

 

Avec beaucoup de brio, les scénaristes de notre expérience immersive ont imaginé une succession d’allers-retours très fluides entre le salon de Nadar et des lieux de création emblématiques des peintres impressionnistes.  Nous voilà ainsi transportés dans un atelier montmartrois, dans un paysage hivernal en bord de Seine, dans une guinguette des bords de Marne, dans la douce intimité d’un foyer au près d’un berceau, enfin sur le balcon de ce fameux hôtel du port du Havre où Monet met la touche finale à l’œuvre séminale du mouvement, le fameux « impression -soleil levant » peint en 1872. 

 

Au bout de 45 minutes d’émotion et de surprises, notre expérience s’achève à la nuit tombée sur le toit de l’Atelier de Nadar et un feu d’artifice d’anthologie illumine les toits de Paris qui s’étendent à nos pieds dans toutes les directions. Au Nord, on devine la masse sombre de la colline de Montmartre, coiffée de ses fameux moulins, mais où ne trône pas encore les coupoles néo-byzantines du Sacré-cœur en construction. 

 

Les lumières s’éteignent, nous déchaussons nos casques de VR et nous voilà un peu étourdis lorsque nous retrouvons l’environnement fonctionnel de l’arcade et son éclairage blafard. Fin de l’aventure et retour au réel.

 

Une expérience d’un nouveau type

 

Peu familier de cet univers de la réalité virtuelle (ou VR pour Virtual reality), je n’étais pas forcément très emballé par cette proposition quand mon épouse m’a en parlé.  Toutefois, la perspective d’une expérience partagée en famille avec mes ados a fini par avoir raison de mes réserves initiales.

 

Et je dois bien reconnaitre que le réalisme des reconstitutions et la qualité du scénario m’ont littéralement bluffé. Sans concurrencer d’autres types d’expérience, comme la classique visite d’une exposition, ou le visionnement d’un biopic ou d’un documentaire, la réalité virtuelle se positionne comme une expérience d’un type nouveau avec sa propre valeur ajoutée. En immergeant les spectateurs au cœur de l’expérience vécue, la réalité virtuelle offre une proximité inédite avec les œuvres d’art, leur créateur et le contexte de leur création, loin de l’expérience parfois dégradée qu’on peut vivre dans un musée surfréquenté à l’approche de ses œuvres les plus emblématiques. 

 

En s’associant avec les équipes de scientifiques du Musée d’Orsay, l’expérience immersive s’est avérée très bien documentée, et moi qui pensais devoir subir un énième exposé sur la naissance de l’impressionnisme, j’avoue y avoir trouvé mon compte. et ce fut le cas aussi pour ma femme et mes filles, ce qui montre que chacun a pu piocher dans cette expérience ce qui le touchait le plus. Sans doute mes filles ont-elles été plus impressionnées (sans mauvais jeu de mots) par le réalisme des reconstitutions et la possibilité de se déplacer dans l’espace, d’explorer des recoins insolites de cet univers virtuel. Moi-même je me suis prêté au jeu, me surprenant à marcher sur l’eau, où à sauter d’un échafaudage à un autre comme un gamin.

 

Le Musée des Beaux-Arts de Lyon ne s’y est pas trompé, qui a profité de l’expérience immersive sur les impressionnistes pour faire de la publicité pour son nouvelle exposition consacrée aux représentations d’Étretat par les peintres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ainsi, à chaque flyer de l’expérience VR impressionniste était agrafé un flyer de l’exposition du Musée des Beaux-Arts.   

 

Impossible pour moi de ne pas évoquer le dernier film de Cédric Klapisch, l’avenue de l’avenir, qui fait revivre la naissance de l’impressionnisme dans une fiction mêlant adroitement passé et présent.  A l’instar de beaucoup de tournages contemporains, de nombreuses scènes font un usage plus ou moins extensif des effets spéciaux et de réalité virtuelle.  Ainsi la fameuse scène du port du Havre se trouve aussi dans le film de Klapisch, et la part d’effets spéciaux qui la compose doit être assez conséquente, pour la simple et bonne raison que le port du Havre peint par Monet a été entièrement détruit durant l’été 1944, et qu’une reconstitution grandeur nature implique des coûts faramineux que la production ne pouvait se permettre, et la réalité virtuelle s’est ainsi avérée la solution la plus réaliste. On imagine un tournage où les acteurs bien réels ont dû évoluer, comme nous, dans un décor réduit à sa plus simple expression.

 

La frontière entre la visite muséale classique, le documentaire ou le film de fiction et l’expérience immersive en réalité virtuelle finit par se brouiller. Face à la qualité du scénario et la proximité inédite avec les œuvres et les artistes proposées par la réalité virtuelle, celle-ci semble promise à belle avenir.

 

Et je ne peux pas m’empêcher de tracer un parallèle avec le secteur de la musique, et cette porosité toujours plus grande entre l’expérience de la musique live et celle vécue en streaming audio ou vidéo, thème que j’ai abordé dans un précédent article de blog consacré aux habitudes de consommation musicale de la GenZ. https://www.nosviesnumeriques.net/post/la-gen-z-renouvelle-le-rapport-au-fait-musical Le parallèle est frappant et augure d’une tendance de fond qui touche à de nombreux domaines de notre quotidien. 

 

Puisqu’il faut bien émettre quelques réserves

 

Fidèle mon habitude, je ne peux cependant pas clore cet article de blog uniquement sur une note d’admiration béate pour cette expérience d’un nouveau genre. Car il existe une phase sombre, que l’on découvre subrepticement lorsqu’on s’éloigne un peu trop du cadre voulu par le scénario.  L’univers virtuel disparait alors et nous voilà plongés dans un décor lunaire en noir et blanc. Au centre trône un monolithe digne de 2001 Odyssée de l’espace, qui indique aux brebis égarées comment rejoindre le gros du troupeau. Ce passage du Paris de 1874 à l’univers dystopique de Stanley Kubrick est assez abrupt et un peu effrayant, et la référence à 2001 Odyssée de l’espace n’est peut-être pas si fortuite que ça.  Elle nous rappelle à juste titre la dimension chimérique de cet univers.

 

Je me sens obligé également de mentionner celui qui est un peu mon mentor en techno-critique.  Alain Damasio aurait eu tôt fait de dénoncer la pauvreté des interactions humaines avec celles et ceux avec lesquel-le-s nous partageons ce type d’expérience immersive.  En effet, le petit groupe composé de ma femme, mes filles et moi-même nous sommes retrouvés réduit à de simples silhouettes déshumanisées (comme une sorte de version ghosting de nous-mêmes). Ces silhouettes nous permettaient de nous repérer dans l’espace, mais pas de communiquer entre nous, ce qui, pour ma part, m’a passablement manqué. J’aurais aimé pouvoir partager mes émotions et mes impressions (à nouveau un mauvais jeu de mots) à mes compagnons de visite, chose que nous n’avons pu faire qu’à posteriori…. 


Et c’est là où la pensée techno-critique de Damasio prend tout son sens, lui qui a si bien montré comment les nouvelles technologies nous aliènent à nos propres corps, et tendent à réduire nos expériences numériques aux seuls champs du visuel et du sonore, et limitant à portion congrue nos sens du toucher, de l’odorat, voire de la parole, puisqu’il ne nous ait pas permis d’interagir avec nos condisciples, et à fortiori avec les incarnations virtuelles de Monet et consort. Au final, je fais le constat un peu triste que l’expérience est imparfaite, nous laisse un peu sur notre frein, frustrés de ne pas avoir pu vivre ce moment en mobilisant tous nos sens et dans une communion totale avec nos colistiers.


Les plus critiques d’entre-vous m’objecteront que dans l’obscurité d’une salle de cinéma, les interactions avec nos voisins sont aussi limitées, et ils-elles auront raison..  mais juste partiellement.  Car mon expérience de la salle de cinéma ou du home cinéma n’a jamais empêché des interactions furtives avec les autres spectateurs, des paroles chuchotées à l’oreille, des gestes furtifs pour communiquer son émotion ou son appréhension, des rires sonores et partagés pour communier dans le plaisir d’une scène comique.  Enfin il y a l’émotion communiquée par les acteurs et actrices par écran interposé certes, mais c’est là toute la magie du cinéma - et le talent d’acteurs en chair et en os - que d’être capables d’exprimer et de véhiculer toutes les nuances des émotions humaines, ce que les avatars de la réalité virtuelles sont encore bien loin de pouvoir incarner.

 

Gageons que les prochains développements du secteur de la réalité sauront trouver des solutions à cela, mais à nouveau Damasio leur objectera que remplacer le son, l’odeur et le toucher par leur version de synthèse est une bien triste perspective pour notre humanité.

 

Les raisons d’un succès

 

En conclusion de cet article, j’ai souhaité élargir la focale pour essayer de comprendre ce qui explique le boom de ce type d’expériences immersives de réalité virtuelles, qui ont poussées comme des champignons dans les parcs d’attraction et les grands shopping malls de nos économies globalisées, de Paris à Shanghai, en passant par Dubaï ou Genève.

 

Tout d’abord, il convient de remonter au début des années 2020, avec les investissements gigantesques consentis par Meta et Google pour développer le Métavers. Au sortir des confinements subis pendant la pandémie de Covid 19, les géants du numérique s’étaient mis en tête que le Métavers serait la nouvelle frontière de l’économie digitale.  L’émergence fin 2022 de l’IA générative a un peu relégué au second plan cette hype pour le Métavers.

 

Il est néanmoins un domaine dans lesquels les investissements colossaux voulus par les GAFAM ont trouvé un débouché : c’est le  gaming. Ce dernier a été littéralement dopé par les innovations technologiques au niveau des matériels (casques et capteurs connectés), mais aussi dans la modélisation des univers virtuels, la fluidité de leur déploiement et la capacité à gérer des flux croissants de données, d’interactions et de joueurs. D’où cette explosion des parties en réseaux dans des univers virtuels comme Roblox et consort. La qualité de l’expérience vécue par les gamers, doublée à une baisse significative du coût des équipements, a dopé un secteur en expansion continue et particulièrement populaire auprès de la nouvelle génération, mais pas seulement.

 

En recentrant mon analyse sur les expériences immersives à visée plus culturelle, comme celle décrite au début de cet article, force est de constater le dynamisme d’une myriade de start-up françaises, à l’image d’excurio, le promoteur de l’expérience vécue à Lyon. Sur son site internet, cette société française surfe avec un certain bonheur sur la richesse du patrimoine culturel français, et sa renommée à l’international. Ainsi propose-t-elle, outre une soirée chez Manet, une immersion dans un mystère du Moyen-âge sur le parvis de Notre-Dame, une aventure dans la cité fortifiée de Carcassonne ou (à venir) une plongée dans l’épopée Napoléonienne, de Paris à Moscou.

 

Au-delà des prouesses techniques de ses VFX designers et autres programmeurs, la clé du succès d’Excurio consiste dans sa capacité à s’associer avec des équipes scientifiques et des établissements publics nationaux prestigieux ( à l’image du Musée d’Orsay) afin de garantir la qualité et le sérieux des récits mis en scène.  En revendiquant sa présence dans 26 lieux répartis dans 9 pays accueillant plus de 3 millions de visiteurs, Excurio se positionne comme un leader du marché. 

 

Un article récent du journal le Monde révèle que ce marché est en voie de consolidation rapide, et qu’il attire pas mal d’investisseurs et de business angel, voyant ce marché comme un nouvel eldorado du tourisme culturel, en complément des expériences plus traditionnelles.  L’article pointe notamment l’importance des investissement consentis par le sulfureux milliardaire Pierre-Edouard Sterin, dont l’agenda politique réactionnaire dérange de nombreux acteurs du marché, qui dénoncent son emprise croissante sur cet univers, faisant planer la menace d’une mainmise idéologique sur les scénarii des projets en développement.

 

Mon article finit ainsi sur une note moins optimiste qu’il n’avait commencé, mais l’histoire est encore en cours, et à la vitesse à laquelle elle s’écrit, je vous donne rendez-vous dans quelques mois pour refaire un point sur le sujet.  À suivre...


Pour aller plus loin :


Plus d'information sur l'expérience immersive "Un soir avec les impressionnistes

Paris 1874" proposée au public du Musée d'Orsay :


L'article du Monde qui pointe le poids du milliardaire Pierre-Edouard Sterin dans les flux capitalistiques d'un marché de l'immersion en réalité virtuelle en pleine ébullition :



Notes sur l'illustration de couverture :

L'image qui illustre cet article est une réinterprétation personnelle au fusain du célèbre tableau de Claude Monet "Impression, Soleil levant", peint sur le Port du Havre, et qui donne son nom au mouvement.

Commentaires


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Jean-Alexis Toubhantz

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Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

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