Technocritiques
Une revue des meilleurs essais technocritiques
Dans cet article, je recense les meilleurs ouvrages technocritiques pour mieux comprendre notre rapport aux bouleversements induits par la révolution numérique. Dans un monde où les technologies envahissent nos vies à un rythme effréné, les débats se polarisent souvent entre fascination et crainte. On assiste impuissants à un dialogue de sourds entre technophiles, séduits par les promesses de progrès, et technophobes, alarmés par leurs dérives. Mais une troisième voie s’impose : celle des technocritiques, qui, sans rejeter ni idolâtrer les innovations, s’efforce de repenser notre usage des outils numériques. Des auteurs comme Alain Damasio, dans Vallée du Silicium, ou Asma Mhalla dans Technopolitique interrogent notre capacité à coexister avec ces nouvelles réalités. Déjà, Ivan Illich, dans La Convivialité, pressentait l’urgence de repolitiser nos choix technologiques. Ces ouvrages nous invitent à ne pas subir passivement les technologies, mais à les intégrer avec discernement et conscience. Bonne lecture.
1. Vallée du Silicium / Alain Damasio
Seuil, collection Albertine, 2024
« Ce qui manque furieusement à notre époque, c’est un art de vivre avec les technologies. Une faculté d’accueil et de filtre, d’empuissantement choisi et de déconnexion assumée. Des pratiques qui nous ouvrent le monde chaque fois que l’addiction rôde, un rythme d’utilisation qui ne soit pas algorithmé, une écologie de l’attention qui nous décadre et une relation aux IA qui ne soit ni brute ni soumise. »
Dans le cadre d'un programme de résidence de la Villa Albertine au coeur de la Silicon Valley, Alain Damasio aiguise sa pensée technocritique. Au fil de sept chroniques littéraires et d’une nouvelle de science-fiction inédite, l'auteur arpente « le centre du monde » et se laisse traverser par un réel qui mêle fascination, nostalgie et espoir.
2.
Smartphones, une enquête anthropologique / Nicolas Nova
MétisPresses, 2020
En un peu plus d’une décennie, le smartphone a envahi notre quotidien, devenant l’objet fétiche de nos sociétés globales et numérisées. Mais au-delà des enjeux économiques, éthiques ou écologiques immenses dont il est l’emblème, quelle place occupe-t-il dans la vie de ses propriétaires et quelles significations ces derniers lui accordent-ils? Sur la base d‘une enquête de terrain menée à Genève, Los Angeles et Tokyo, l'auteur aborde la dimension proprement anthropologique du smartphone. À travers six objets qui symbolisent autant de facettes de son usage — la laisse, la prothèse, le miroir, la baguette magique, le cocon et la coquille vide —, il révèle toutes les tensions et les ambivalences autour des usages de l'appareil.
3.
L'âge du capitalisme de surveillance / Soshana Zuboff
Editions Zulma, 2020
Les géants du web, Google, Facebook, Microsoft et consorts, ne cherchent plus seulement à capter toutes nos données personnelles, mais à orienter, modifier et conditionner nos comportements : notre vie sociale, nos émotions, nos pensées les plus intimes… jusqu’à notre bulletin de vote. L'autrice américaine Shoshana Zuboff analyse cette mutation monstrueuse du capitalisme, où la souveraineté du peuple est renversée au profit non pas d’un État autoritaire, comme on pourrait le craindre, mais d’une nouvelle industrie opaque, avide et toute-puissante, menaçant notre libre arbitre et la démocratie.
4.
La Tech / Olivier Alexandre
Seuil, 2023
L'auteur livre la première étude sociologique d'envergure sur la Silicon Valley, une immersion dans un univers méconnu, quand bien même les outils et les solutions technologiques conçus dans ce petit coin de Californie ont conquis la planète entière, du Smartphone aux réseaux sociaux. Loin de s’arrêter à ses grands noms, Olivier Alexandre dépeint le parcours, la mentalité et les façons de faire des entrepreneurs de la Silicon Valley, leur combat quotidien dans un système hypersélectif pour séduire les investisseurs, embaucher les meilleurs développeurs et trouver LA solution qui changera le monde.
5.
Marx contre les GAFAM / Stéphanie Roza
Presse Universitaire de France, 2024
Le capitalisme a beaucoup changé depuis l’époque de Marx. En quoi ses concepts peuvent-ils encore être utiles à celles et ceux qui se placent dans la perspective de l’émancipation ? Cet ouvrage s’appuie sur les apports d’un siècle et demi de travaux et de débats au sein du marxisme, et particulièrement sur ceux de penseurs humanistes comme Georg Lukács, pour décrypter les tendances de fond de la société contemporaine. L'autrice s’efforce de mettre à jour les nouvelles formes d’aliénation, en particulier celles engendrées par les plateformes numériques, qui se sont invitées dans notre rapport au travail, aux autres et à nous-mêmes.
6.
Technopolitique / Asma Mhalla
Seuil, 2024
Intelligence artificielle, réseaux sociaux, implants cérébraux, satellites, métavers… dans tous ces domaines stratégiquesm les « BigTech », majoritairement américaines, sont à l’avant-garde. Entités hybrides, elles remodèlent la morphologie des États, redéfinissent les jeux de pouvoir et de puissance entre nations, interviennent dans la guerre, tracent les nouvelles frontières de la souveraineté. S’ils sont au cœur de la fabrique de la puissance étatsunienne face à la Chine, ils sont également des agents perturbateurs de la démocratie. Pour Asma Mhalla, nos cerveaux sont devenus le champ de bataille d'un nouvel ordre mondial faisant de chacun d’entre nous des soldats d'un nouveau genre.
7.
Notes toward a Neo-Luddite Manifesto / Chellis Glendinning
Abandon des smartphones, boycott des réseaux sociaux, méfiance vis-à-vis des entreprises technologiques… À l’opposé de nos vies ultraconnectées, certaines personnes ont décidé d’adopter des comportements radicalement différents. On les appelle les néo-luddiques.
Ce terme tire son nom du mouvement luddiste, appelé ainsi grâce à Ned Ludd, un ouvrier anglais qui a protesté contre l’usage des machines à tisser à la fin du XVIIIe siècle. Il a initié un mouvement clandestin dont les membres étaient surnommés les “luddites” ou encore les “briseurs de machines”. Depuis, la lutte contre la mécanisation du travail a évolué en une opposition à la progression des nouvelles technologies. En 1990, la militante américaine Chellis Glendinning remet le terme “luddite” au goût du jour dans son ouvrage Notes toward a Neo-Luddite Manifesto, qui donne naissance au néo-luddisme, un mouvement activiste d’orientation technophobe.
8.
La Convivialité, Ivan Illich
Seuil, 1973 - rééditons Points Essais 2014
« Si les outils ne sont pas dès maintenant soumis à un contrôle politique, la coopération des bureaucrates du bien-être et des bureaucrates de l’idéologie nous fera crever de “bonheur”. La liberté et la dignité de l’être humain continueront à se dégrader, ainsi s’établira un asservissement sans précédent de l’homme à son outil. »
40 ans avant la généralisation du smartphone et des réseaux sociaux, le penseur Ivan Illich est l'un des premiers à avoir dénoncé le productivisme, le culte de la croissance, l'apologie de la consommation et toutes les formes d'aliénation nées du mode de production capitaliste. "La Convivialité" montre comment l'organisation de la société tend à produire des consommateurs passifs, qui ont délégué aux institutions le pouvoir de décider et renoncé à assumer la responsabilité des orientations de leur société. Un texte qui résonne de manière prémonitoire à nos oreilles à l'heure de la toute puissance des réseaux sociaux, dont nous subissons de plein fouet la nature profondément déshumanisante et dévitalisante.
(à suivre...)
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