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L'E-commerce tout puissant




Un assortiment illimité, des prix attractifs, la promesse d’une livraison « sous 24h », une petite dose de dopamine facilement gagnée au moment de valider son « panier d’achat », autant d’arguments qui ont rendu le shopping en ligne si populaire, pour ne pas dire incontournable dans notre quotidien toujours plus contraint. Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique[1] confirme cette observation empirique : en 2021 en Suisse, 3 vêtements sur 10 ont été achetés … en ligne. Le site de vente en ligne Zalando affiche ainsi fièrement sa place toute fraîche de premier détaillant de vêtements et chaussures en Suisse avec 10% de part de marché (tous canaux de vente confondus). Bref, la numérisation du commerce en ligne est aujourd’hui bien engagée, et entraîne dans son sillage une transformation en profondeur du commerce de détail, pour le meilleur comme pour le pire. S’appuyant sur une enquête récente et très bien documentée de l’ONG Public Eye[2], cet article de blog tente de faire le point sur le sujet.


Le livreur, petit soldat de l’économie 2.0


Qui n’a pas encore eu l’occasion d’observer le ballet bien réglé des livreurs de colis toujours plus nombreux devant son immeuble à n’importe quel moment de la journée ? A l’image de Ricky Turner, le héros tragique de Ken Loach dans le film « sorry we missed you » sorti en 2019, les malheureux coursiers bondissent de leur camionnette parquée à la va-vite et s’affairent au milieu d’un amoncellement grotesque de paquets aux formes et aux couleurs les plus variées, tel un monstrueux Tetris échappé d’un univers de jeu vidéo. Comme l’a si bien dépeint le réalisateur britannique dans son film, on imagine facilement la pression énorme qui accable les livreurs pour respecter les délais imposés par la société qui les mandate, petits soldats de l’économie 2.0, derniers maillons de l’immense chaîne logistique du commerce en ligne.


Les acteurs traditionnels du commerce de détail souffrent


Dans le même temps, il s’avère de plus en plus difficile de déambuler dans nos centres villes et nos centres commerciaux sans remarquer ces nombreuses devantures qui ont fermé le rideau définitivement et celles qui n’ont pas trouvé de nouveaux locataires. Un phénomène inquiétant, qui traduit les difficultés grandissantes du commerce de détail traditionnel, et qui touche de manière particulièrement aigu le secteur de la mode, victime de fermeture en chaîne et de plans sociaux en pagaille. Parmi les derniers en date, l’enseigne française Camaïeu, contrainte au licenciement de ses 2089 salarié.es et à la fermeture de ses 500 magasins répartis dans tout l’hexagone. Des difficultés qui touchent également d’autres enseignes emblématiques des années 2000 comme Kookaï, Pimkie, San Marina, Burton ou encore Kiabi, comme le documente un récent article du Monde[3]. Même constat en Suisse où, selon l’Office fédéral de la Statistique, une boutique sur 5 a fermé sur la période de 2011 à 2019, avec la clé 8253 suppressions d’emplois. Des difficultés liées bien sûr aux conséquences de la pandémie de Covid 19, qui a affecté durablement les commerces de centre-ville et modifié en profondeur les habitudes des consommateurs, avec un report massif vers le commerce en ligne.


Un nouveau rapport de force au sein du commerce de détail


Parallèlement, l’essor du commerce en ligne entraîne une redistribution de grande ampleur des rapports de force au sein du commerce de détail. En l’espace de quelques années, les nouveaux acteurs du commerce en ligne (Amazon en tête) ont acquis des positions stratégiques dominantes, qui mettent sous pression les acteurs traditionnels. Ces derniers sont aujourd’hui contraints d’adapter totalement leur stratégie, en développant investissant lourdement dans leurs boutiques en ligne et leurs capacités logistiques, au détriment de leurs boutiques les moins rentables. Ainsi, en 2020, H&M a fermé 58 magasins tandis que la proportion des ventes en ligne dans son chiffre d’affaires atteignait à 28%.


E-commerce : La croissance d’abord, les bénéfices ensuite


Cette percée fulgurante des acteurs du commerce en ligne s’appuie sur une stratégie mise en œuvre avec succès par l’ensemble de l’économie numérique, et que j’ai documentée dans un précédent article consacré à la firme Uber. C’est stratégie peut se résumer en une phrase : « la croissance d’abord, les bénéfices ensuite ». Autrement dit, il importe de croître suffisamment vite et par tous les moyens pour devenir le leader du marché et disposer d’une position de force pour dominer la concurrence et imposer ses conditions aux autres acteurs. C’est la stratégie appliquée par Microsoft dans les années 1990, Amazon dans les années 2000 et plus récemment Uber.


L’histoire (récente) de Zalando, l’un d’un des leaders de la mode en ligne, est exemplaire : fondée en 2008, l’entreprise allemande a tout misé sur une expansion à marche forcée de son chiffre d’affaires. Ce n’est qu’en 2014, soit 6 ans après sa création, que l’entreprise a commencé à enregistrer des bénéfices. En 2017, soit 10 ans à peine après sa création, Zalando prend la tête du classement des détaillants de mode en Suisse, devant des acteurs pourtant bien installés comme H&M. Même phénomène avec Amazon, qui n’a commencé à réaliser des bénéfices qu’en 2001, soit 7 ans après sa création. En 2020, la firme dirigée par Jeff Bezos a fini par détrôner le géant Walmart dans le commerce de vêtement aux Etats-Unis.


La clé du succès : Big Data couplé à des techniques de marketing raffinées


Au fil des ans, et de manière relativement insidieuse, la numérisation du commerce en ligne a bouleversé profondément nos modes de consommation. A ce titre, les données des internautes constituent le nerf de la guerre, et leur contrôle confère aux plateformes en ligne un autre avantage incomparable sur leurs concurrents du commerce traditionnel.

Grâce à des outils de collecte et de profilage toujours plus perfectionnés (le fameux big data, ou exploitation de données massive), les plateformes de e-commerce connaissent les centres d’intérêts des internautes, les termes recherchés sur les moteurs de recherche et l’historique d’achats de millions de personnes. Ces données constituent la base d’un marketing particulièrement efficace et ciblé, qui favorise l’achat impulsif et spontané. Ces données offrent également aux plateformes la possibilité de percevoir les nouvelles tendances à l’avance et de les exploiter. Une stratégie tellement efficace qui permet à la plateforme de proposer à l’internaute de manière quasi miraculeuse le produit auquel il n’avait pas encore pensé, mais dont il ne pourra décidemment plus se passer, et pour cause : la plateforme l’a su avant lui !


Amazon plus fort que Google sur son terrain !


Dernière conséquence de cet essor du commerce en ligne, les plateformes comme Amazon et consort sont aujourd’hui à ce point incontournables qu’elles tendent à devenir le premier et unique point d’entrée des internautes, avant même les moteurs de recherche comme Google. Un comble ! Ainsi, d’après l’institut CivicScience cité par Public Eyes, 49% des personnes interrogées commencent directement leur recherche de produit sur Amazon, Google pointant seulement à la 2ème place avec 22% des sondés. Difficile dans ce contexte de démarcher de nouveaux clients sans passer par ces grandes plateformes, qui peuvent imposer sans vergogne leurs conditions aux enseignes traditionnelles. Un jeu de pouvoir particulièrement bien résumé par Zalando qui affiche avec fierté sa philosophie sur son site internet : « If I cannot find an item on Zalando it does not exist ». (si je ne trouve pas un article sur Zalando, c’est qu’il n’existe pas). Tout est dit.


Pour en savoir plus


  • « À l’ère du commerce en ligne » - Public Eyes magazines N°36 – juin 2022

  • Enquête de l’Office fédéral de la statistique 2011

  • « Sorry we missed you », film de Ken Loach (UK, 2019)

  • Uberfiles, l’ubérisation au coeur.

[1] Enquête de l’Office fédéral de la statistique 2011 [2] « À l’ère du commerce en ligne » - Public Eyes magazines N°36 – juin 2022 [3] « Après la fin de Camaïeu, l’inquiétude du secteur de l’habillement en difficulté » - Le Monde, 29 octobre 2022

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Jean-Alexis Toubhantz

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Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

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