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Instagram et la passion du 78 tours

Comment le réseau social Instagram permet à un collectionneur de disques 78 tours de partager sa passion et d'échanger avec d'autres collectionneurs


couverture d'un disque 78 tours avec un chien qui regarde dans un pavillon de grammophone


Une fois n’est pas coutume, cet article ne descendra pas en flèche Instagram, où si peu !   non, cette fois, j’ai envie de vous parler des bons côtés de la plateforme aux 2 milliards d’utilisateurs.  

 

Cet article est le fruit d’une conversation avec mon ami Guillaume Veillet et son compte instagram 78tard.rpm, dédié à sa passion pour les disques 78 tours. Depuis déjà plusieurs années, je suis son compte avec intérêt. Au fil de ses publications, j’ai progressivement nourri ce projet d’article en forme d’interview de l’intéressé, alias Jean Chappaz, rencontré il y a une dizaine années dans le cadre des ateliers d’ethnomusicologie de Genève (ADEM). 

 

Guillaume est journaliste et ethnomusicologue, avec un intérêt particulier pour les musiques traditionnelles et notamment les musiques alpines, sa région d’origine. Infatigable collecteur, il arpente les vallées les plus reculées où il enquête sur le patrimoine oral (chanson, conte, etc.). Ses recherches ont débouché sur différents projets de publications et d'expositions dans ce domaine, dont vous trouverez le détail sur sa page wikipedia.

 

Comme tout ethnomusicologue qui se respecte, Guillaume a un agenda de ministre. Aussi, après quelques rendez-vous manqués, nous finissons enfin par nous retrouver à l’automne 2024 dans un bistrot chaleureux de Genève, à deux pas du célèbre marché aux puces de Plainpalais où Guillaume possède ses habitudes de chineur invétéré.

 

 

Depuis quand tiens-tu ta collection de 78 tours ?

 

J’ai commencé il y a plus de 20 ans.  À l’origine, cela s’inscrit dans le prolongement de mon intérêt pour les musiques traditionnelles.  Dans ce domaine, les sources de référence se sont avant tout des collectages d’ethnomusicologues, de passionnés, les enregistrements des chercheurs et des amateurs.  Mais il y aussi pléthore d’enregistrements commerciaux, et ce dès les débuts du disque à la fin du XIXe siècle.

Et c’est ainsi que j’ai commencé à écumer les marchés aux puces, les brocantes, les vide-greniers et … le fameux marché de Plainpalais à Genève. 

 

Et je tombe amoureux des 78t, le format phare de la 1ère moitié du XXe siècle. Pour les écouter, je dégote un vieux gramophone portatif appelé communément « phono à valise ». Problème : l’aiguille des machines d’époque abîme les disques, il faut la changer à chaque écoute.  Depuis bien longtemps, j’ai résolu ce problème. J’ai une platine moderne de DJ, qui me permet de choisir la vitesse souhaitée avec un diamant moderne qui respecte mes trésors.

 

De quoi est constituée ta collection de 78 tours ?  Quel répertoire privilégies-tu ?

 

Le cœur de ma collection, ce sont des objets sonores rares, des choses qui n’ont pas été rééditées ou tirées à très peu d’exemplaires..

 

Il y a bien sûr ma passion pour le style musette des années 20’-30’.  C’est à l’époque une musique extrêmement populaire. C’est un peu l’équivalent du rock dans les années 60’ ou du rap aujourd’hui.  Les enregistrements sont nombreux car cela correspond également à un moment historique où les classes populaires accèdent aux loisirs de masse, ont les moyens d’acheter un phono, dont les prix se sont démocratisés. C’est le Front populaire, les guinguettes de la Marne, le film de Duvivier « La belle équipe » dont la chanson « Quand on se promène au bord de l’eau » interprétée par Jean Gabin sera un hit de l’époque. C’est aujourd’hui une musique très méconnue malgré sa popularité passée.

 

En chinant, par extension, je me suis intéressé à tous les disques de musiques traditionnelles, qu’elles soient suisses ou françaises, dont celles d’Auvergne, ces dernières ayant d’ailleurs un lien organique avec le musette, mais c’est une autre histoire.

 

Progressivement, je m’intéresse aussi aux enregistrements commerciaux venant de l’outre-mer, de l’ex-empire colonial français, aux musiques des indépendances, bref les musiques du monde, un terme valise contemporain qui n’existait pas à l’époque du pressage de ces 78t.   Ce marché a véritablement explosé après la Seconde Guerre mondiale, avec là-aussi l’essor d’une classe populaire ayant les moyens d’acheter ces disques..  et les 78tours vont prospérer dans ces régions jusqu’à la fin des années 60,  soit 15 ans de plus qu’en Europe où le 45t et le 33t supplantent le 78t dès le milieu des années 50.



Comment t’es venue l’envie de créer ton compte Insta 78tard.rpm ?

 

Ma collection occupe une grande place dans ma vie.  Il y a une dimension très affective.  Je passe pas mal de temps à chiner, à écouter mes disques, les ranger, les classer, j’ai du second choix plein ma cave.

 

La création de mon compte Insta dérive vraiment d’une envie de partager mon plaisir de collectionneur, de faire écouter mes coups de cœur. J’étais déjà en contact avec d’autres collectionneurs passionnés, notamment au USA, qui avaient déjà un compte Insta.  J’ai eu envie de faire la même chose, comme un prolongement de ma démarche de collectionneur, une autre manière de correspondre avec d’autres passionnés, de garder le lien avec des amis collectionneurs, et pourquoi pas de faire de nouvelles rencontres, et ce fut effectivement le cas !  Mon compte Insta m’a réellement permis d’élargir mon réseau.

 

Quelle est ta ligne éditoriale ?  a-t-elle évolué depuis l’origine ?

 

Ma ligne éditoriale est restée la même depuis le début. Déjà le choix de l’anglais s’imposait car mes principaux contacts collectionneurs étaient américains, même si cela s’est diversifié depuis.   Chaque publication est structurée toujours de la même manière :

  • une photo du disque

  • une courte vidéo qui donne à entendre un extrait du disque

  • éventuellement un second extrait vidéo (voire plus, notamment si je propose le « best of » d’un.e artiste ou une compilation thématique)

  • une photo de(s) l’artiste(s) si elle existe

  • un commentaire pour contextualiser le tout dans son époque, quelques mots sur la marque phonographique et ses motivations commerciales, etc.

 

Je n’ai pas encore cédé aux sirènes des reels, même si je suis conscient que ce format est favorisé par l’algorithme. Je préfère m’en tenir à mes extraits sonores de 1’, ça me permet de sélectionner le passage le plus intéressant du disque, et aussi de palier à des imperfections du disque lui-même.  Ce format n’a pas changé depuis le début, il y a une cohérence absolue. (C’est vrai que le mur du compte insta de Guillaume à belle allure à l’image des captures d’écrans qui illustrent cet article – NDLR).


Qu’est-ce qui préside au choix des 78 tours présentés dans tes publications ?

 

À nouveau, cela est intimement lié à ma pratique de collectionneur.  Quand j’écoute un disque qui me plait, j’ai envie de le partager. Donc ce sont avant tout mes goûts personnels qui se reflètent dans mes publications sur Insta.

 

J’aime aussi rebondir sur l’actualité.  Pour prendre un exemple, le Tour de France est La manifestation populaire par excellence et elle a particulièrement inspirée les éditeurs de 78t.  Chaque édition du Tour possédait sa chanson officielle, enregistrée pour l’occasion, et le style Musette se taille une place de choix dans ce catalogue, car c’est LE style populaire de toute cette période de l’entre-deux guerres et de l’immédiat après-guerre.   On pense à Yvette Horner, qui a vraiment immortalisé cet imaginaire mythique où se mêle le Tour, le Musette et cet engouement populaire magnifiquement évoqué dans le film d’animation « les triplettes de Belleville ».

Cette année, les 80 ans de la Libération ou la résurrection du (nouveau) front populaire m’ont aussi donné l’occasion d’exhumer des pépites évocatrices de ces deux moments historiques du récit national français.


 

Quel rapport entretiens-tu avec ton compte Instagram et le caractère potentiellement addictogène de la plateforme ?

 

C’est un rapport assez pacifié. Je le vis vraiment comment un prolongement de mon réseau dans le monde réel.  Mon compte m’a permis aussi de faire de nouvelles rencontres et d’élargir mon cercle de passionnés du 78t.

 

Tu parles d’addiction, c’est assez drôle car en fait il faudrait parler d’une double addiction !  rires.  Car ma collectionnite aigüe est déjà une forme d’addiction, quand je pense à mon rapport à l’objet, au temps passé à chiner, à répertorier et à ranger mes 78t. Il y a là déjà une recherche d’adrénaline lié à la quête de l’objet rare.    Sur Insta, il faut souligner que je n’y passe finalement pas beaucoup de temps, relativement à celui que je consacre à ma collection.

 

À quoi ressemble ta communauté ?   Influence-t-elle tes choix de publications ?

 

Ça n’est pas vraiment en ces termes que j’ai l’habitude de raisonner.  Mon rapport à « ma communauté », pour reprendre ton terme, est plutôt vague..  Quand je publie, je pense à une sorte d’auditeur lambda, pas à un spécialiste. Il y a une vraie envie de vulgariser ma passion.  Je pense que ça rejoint assez naturellement mon travail de journaliste.  C’est aussi une bonne opportunité de mettre en valeur mon travail de chercheur.  Je réalise que mon compte Insta est devenu au fil des ans une véritable carte de visite. Une conséquence indirecte de mon investissement sur ce compte dédié à ma passion des 78t. , c’est que mon compte Insta personnel @guilleminveillet. se retrouve en friche (et en plus il est privé !).  D’autant que quand je souhaite publier des « stories » retraçant mes aventures quotidiennes et mes voyages, au cours desquels la musique tient toujours une grande place, je le fais sur ce compte 78tard et non sur mon compte perso ! Bref, aujourd’hui mon image publique sur Insta (et par extension sur la Toile), c’est vraiment mon compte insta 78t, image qui se prolonge aussi sur Facebook puisque je crosspost parfois mes publications sur les 2 plateformes (propriétés de Meta, NDLR).

 

Es-tu attentif aux statistiques d’engagement sur tes publications ?

 

Pas vraiment. Où plutôt plus vraiment !  Il fût un temps où je regardais ces statistiques. J’ai arrêté de le faire car je me suis rendu compte que cela ne m’apportait rien de positif.   La satisfaction d’amour-propre qui pouvait accompagner un post populaire pouvait être douchée par la déception de voir un autre post dédaigné par ma communauté. Et ces jugements externes n’étaient pas forcément corrélés avec ma propre appréciation de la qualité et de l’intérêt que je pouvais porter personnellement aux choses publiées.  Ce qui explique aussi mon désintérêt pour cet aspect de ma présence sur Instagram.

 

Ce que j’ai appris au fil du temps c’est qu’un bon post entraine en moyenne 50 likes, et si c’est le cas, cela me fait plaisir, et je ne me formalise pas si ce n’est pas le cas, car ma motivation est ailleurs, c’est avant tout celle d’un collectionneur, désireux de partager sa passion avec celles et ceux qui le veulent, dans une sorte de prolongement naturel (mais qui reste marginal) de son activité d’amoureux des 78t et de l’imaginaire qu’ils véhiculent.


***


J'espère que cette échange vous donnera envie de découvrir le compte Insta de Guillaume dont je vous redonne l'adresse : 78tard.rpm.

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Jean-Alexis Toubhantz

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Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

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