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Oléron vs Airbnb : chronique d’une Airbnbisation insulaire

  • jatzjatz
  • 17 avr.
  • 4 min de lecture

Confrontée aux effets pervers de l’Airbnbisation, la petite île de l’Atlantique affronte la plateforme américaine pour non-paiement de la taxe de séjour … et gagne son procès. Une décision appelée à faire jurisprudence.



dessin au fusain avec le phare de chassiron sur l'île d'Oléron à côté du logo d'Airbnb


Face à l’explosion des meublés touristiques, la communauté de communes de l’île d’Oléron a remporté un procès retentissant contre Airbnb, condamné à verser 8,6 millions d’euros pour ne pas avoir reversé la taxe de séjour. Cette affaire illustre une des nombreuses dérives du modèle Airbnb : non content d’entrainer une raréfaction du logement accessible pour les habitants, le succès d’Airbnb entretient le phénomène de surtourisme, et au mépris de ses obligations légales, la plateforme américaine refuse d’assumer ses responsabilités dans la collecte de la taxe de séjour, instrument de fiscalité locale indispensable pour assurer la bonne marche des services publics de l’île durant la période estivale, période durant laquelle la population de l’île est multipliée par 10.

Dans mes précédents articles sur le phénomène Airbnbisation, je me penchais sur les ravages d’un modèle de location touristique qui, sous couvert d’économie collaborative, provoque des dégâts bien réels sur les marchés immobiliers urbains [1], puis plus récemment sur le cas suisse [2], tout aussi révélateur. Ce nouvel épisode nous emmène à Oléron, petite île de l’Atlantique chère à mon cœur pour y avoir passé plusieurs séjours enchanteurs. C’est à travers un récent article du journal Le Monde [3] que j’ai en effet découvert que l’île était engagée depuis plusieurs années dans un bras de fer judiciaire contre Airbnb. Et, fait rare, l’île vient d’obtenir gain de cause.

Oléron vs Airbnb : une victoire judiciaire sans précédent

Le 8 avril 2025, la cour d’appel de La Rochelle a confirmé la condamnation d’Airbnb pour « manquements répétés à ses obligations de déclaration, de collecte et de reversement de taxes de séjour » sur les années 2021 et 2022. Montant de l’ardoise : 8,6 millions d’euros.

Oléron vs Airbnb : "Une victoire historique", s’est félicité Michel Parent, président de la communauté de communes d’Oléron, cité par le Monde, qui rappelle que la plateforme n’avait même pas daigné répondre aux premières sollicitations de règlement à l’amiable. S’en sont suivi cinq ans de démêlés judiciaires, une première victoire en 1ère instance et cette récente confirmation en appel, avec une peine encore alourdie par rapport au 1er jugement.  Un jugement qui va sans nul doute faire jurisprudence, et qui pourrait inspirer d’autres collectivités confrontées à l’arrogance des plateformes d’intermédiation touristique est sans limite. En effet Airbnb n’est pas seul dans le viseur de la petite île charentaise :  une procédure est en cours contre Booking, et Leboncoin pourrait bien être le prochain sur la liste.

Une économie insulaire asphyxiée

Cet été-là, moi aussi j’étais un touriste à Oléron, séduit par son insularité, son air matin et ses espaces naturels préservés. J’avais réservé une belle maison familiale à Saint-Denis d’Oléron via Airbnb, comme je le fais souvent ailleurs. Et comme souvent, j’ai pu constater les effets secondaires du modèle à travers toute l’île : engorgement du réseau routier, saturation des (rares) transports en commun, service de collecte des ordures ménagères sous-dimensionnés favorisant les décharges sauvages, pénurie de logement disponible pour les travailleurs saisonniers, etc…

Dans les rues de Saint-Denis ou Saint-Georges-d’Oléron, j’ai croisé plus de panneaux « à louer à la semaine » que de boîtes aux lettres. Depuis la crise Covid, une bonne partie des locations longue durée s’est évaporée au profit du lucratif marché saisonnier [4], comme me l'ont reporté de nombreux insulaires et saisonniers avec qui j'ai eu l'occasion de m'entretenir lors de mon dernier séjour sur l'île.

Sur France Bleue Charentes, la radio locale, le témoignage de Clara, résume assez bien la situation vécue par de nombreux insulaires : « J’habite l’été à un endroit, l’hiver à un autre. À chaque fois, j’espère trouver quelque chose pour la saison suivante ». Pour elle, comme pour beaucoup d’autres, le mobil-home est devenu une résidence par défaut [5].

La double peine des collectivités

Et comme si l’éviction des résidents à l’année ne suffisait pas, Airbnb rechigne à verser une taxe de séjour pourtant indispensable aux finances publiques. Ce sont pourtant ces recettes fiscales qui permettent de faire face aux coûts liés à l’afflux touristique : collecte des déchets, renforcement des services d’eau et d’assainissement, entretien des routes et pistes cyclables qui sillonnent l’île en tout sens,  protection du littoral et de son cordon dunaire, fragilisé par la fréquentation intense de la période estivale.

Le modèle Airbnb prétend « rendre le voyage plus local et authentique ». Mais à Oléron comme ailleurs, il contribue à chasser les populations autochtones du territoire tout en siphonnant les recettes censées compenser l’impact de la fréquentation touristique. Une sorte d’économie extractive 2.0, où la plateforme récolte les clics et laisse aux mairies les poubelles pleines.




dessin au fusain du phare de Chassiron sur l'île d'Oléron

Et moi dans tout ça ?

Je suis un utilisateur régulier d’Airbnb. Je l’avoue sans détour. Comme beaucoup, j’apprécie le confort, la simplicité, l’abondance de choix. Mais chaque séjour est désormais teinté d’ambivalence : suis-je en train de financer un modèle qui rend impossible la vie locale que je suis justement venu chercher ?

La décision de justice en faveur de l’île atlantique est un signal fort. Peut-être qu’en additionnant les mobilisations locales, les procès, les régulations municipales, on finira par restaurer un équilibre. Il ne s’agit pas de diaboliser l’outil, mais d’imposer des règles claires à des acteurs du numérique qui se prétendent « disruptifs », mais qui, plus prosaïquement, ont pris la fâcheuse habitude de jouer la montre et le contournement.

Alors oui, cette fois, David a gagné contre Goliath. Mais le combat continue, restons vigilants et voyageons mieux informés.



Pour aller plus loin :

[1] Airbnbisation : mode d’emploi, nosviesnumeriques.net, juillet 2024.

[2] Airbnbisation en Suisse, nosviesnumeriques.net, mars 2025.

[3] Le Monde, Bataille judiciaire entre Airbnb et l’île d’Oléron : le géant mondial de la location touristique condamné en appel à payer 8,6 millions d’euros, 8 avril 2025.

[4] Sud Ouest, Saint-Georges-d’Oléron : des restrictions face aux meublés touristiques, mai 2023.

[5] France Bleu, Oléron : le défi du logement à l’année, 27 avril 2025.

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Jean-Alexis Toubhantz

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Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

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