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Livre numérique, où en est-on ?

Les 14 et 15 octobre 2021, la Bibliothèque de Genève et l’Université de Genève organisaient « les lieux de savoir à l’ère numérique », deux journées de rencontres et de débats autour de l’avenir du livre, de la recherche et du patrimoine documentaire à l’heure de la transition numérique. Le débat du vendredi 14, intitulé « Quel avenir pour le livre ? » m’intéressait tout particulièrement. En effet, depuis 2014, dans le cadre de mes activités professionnelles pour les Editions Contrechamps, je pilote la numérisation et la diffusion du catalogue de cette petite maison d’édition spécialisée dans des ouvrages pointus de musicologie. L’occasion rêvée de faire un point sur le développement du livre numérique dans la recherche en sciences humaines et sociales (diffusion, modèle économique, habitudes de lecture).





Le succès indéniable des plateformes de diffusion de livre numérique


Le débat s’ouvre avec une intervention de Thomas Parisot, directeur général adjoint de cairn.info, la plateforme de diffusion leader sur le marché des humanités numériques. Sans surprise, son discours est plutôt triomphant. Créé en 2005, le portail a dépassé le seuil des 100 millions de visites en 2020, dopé il est vrai par la pandémie, qui a joué un rôle de catalyseur dans la conversion des lecteurs au numérique. Au vu des nombreux chiffres annoncés par Cairn, Il semblerait que le modèle économique de la plateforme soit assez florissant. L’intervenant insiste cependant sur l’équilibre toujours délicat à trouver entre les contenus gratuits et payants, Cairn ayant fait le choix d’une barrière mobile, dont la fixation est laissée à libre appréciation des éditeurs.


Des chiffres en trompe l’œil ?


L’intervention de Michael Balavoine, directeur des Editions Médecine & Hygiène (M+H), vient cependant tempérer l’optimisme du premier orateur. L’éditeur, qui est aussi présent sur Cairn depuis plusieurs années, souligne la difficulté pour les auteurs et les chercheurs d’animer une communauté de lecteurs à l’heure du tout numérique. A ses yeux, malgré une diffusion croissante et un nombre de vues impressionnant, les publications numériques de sa maison d’édition sont noyées dans la masse des contenus diffusés sur la toile, au risque d’une dilution du savoir et d’une disparition d’une culture de la recherche auprès des lecteurs. Il est intéressant de noter (c’est moi qui fait la remarque), que ce phénomène est aussi à l’œuvre dans l’édition musicale, avec le succès croissant des plateformes de streaming comme Spotify, Apple music, etc .. qui proposent une offre infinie de contenus, mais qui paradoxalement conduisent à une invisibilisation des petits labels et de leurs efforts de promotion d’artistes en devenir.


Comment expliquer la résistance du papier ?


Benoit Epron, professeur en Information documentaire à la HEG de Genève, prend ensuite la parole pour contextualiser le débat qui vient de s’ouvrir entre deux visions antagonistes de la diffusion du livre numérique.

L’intervenant rappelle avec justesse une temporalité paradoxale. Le livre numérique a déjà une relative longue histoire : Google Books démarre en 2005, Amazon et Apple lancent respectivement le Kindle et l’iphone en 2007. 15 ans plus tard, le livre numérique représente environ un quart du marché du livre, avec une répartition à peu près égale entre les types de supports (smartphone, tablette et liseuse).

le tsunami annoncé par les acteurs du livre numérique ne s’est pas produit

Toutefois, le tsunami annoncé par les acteurs du livre numérique ne s’est pas produit, les promesses du livre numérique enrichi et interactif sont font toujours attendre et surtout le papier constitue toujours le cœur du marché et la base de son modèle économique.

Comment expliquer cette bonne résistance du livre papier ? 1er élément d’explication, pour la majeure partie des lecteurs, notre rapport aux livres s’est construit sur la base de l’imprimé. C’est un objet qui a un poids symbolique énorme.

Ensuite, notre rapport au livre n’est pas le même en fonction du contenu (ouvrage de fiction, ouvrage scientifique ou de référence, etc.). Dans le cas du livre papier, l’expérience utilisateur est plus ou moins la même, quel que soit ce qu’on y cherche. Ce n’est plus le cas avec le numérique, qui multiplie les types de parcours utilisateurs et oblige les éditeurs à analyser les pratiques et les usages vis-à-vis du livre numérique d’une manière plus fine. Face à une ressource numérique, que va faire le lecteur : lire, indexer, imprimer, citer, etc. ? et peut-être tout à la fois...


Réconcilier le livre papier et le livre numérique


Enfin, pour Benoit Epron, il importe d’analyser les rapports du livre numérique et du livre imprimé, non sous l’angle de leur concurrence, mais au contraire de leur complémentarité. L’enjeu aujourd’hui est de mieux comprendre comment s’articule l’usage des deux types de supports, en fonction des types de contenus, des contextes de consultation et de restitution. Dans le domaine de l’édition universitaire, l’enjeu de l’imprimé n’est plus forcément en amont mais en aval de la recherche (impression à la demande)

Pour l’édition scolaire et universitaire, la rareté c’est déplacé du côté de l’attention : j’ai une heure pour trouver les contenus pertinents. Si la ressource n’est pas facilement et librement accessible, l’étudiant ou le chercheur va aller chercher l’information ailleurs. Conséquence : ce qui n’est pas accessible devient invisible.

Ce qui n’est pas facilement et librement accessible devient invisible.

Les enjeux primordiaux pour l’éditeur aujourd’hui sont donc l’indexation des contenus, le développement de fichiers interopérables (type XML), qui permettent d’être lus quel que soit le mode de consultation. La qualité de l’interface de consultation devient également primordiale. Les grands acteurs des humanités numériques comme Cairn ou OpenEdition l’ont bien compris, en développant des modèles de présentation normalisés, qui certes gomment les spécificités des choix éditoriaux lié à la maquette, mais offrent en revanche une expérience de lecture fluide et standardisée, sur une grande variété de supports, associée à une puissance de recherche satisfaisante.


Même constat aux Editions Contrechamps


Pour terminer ce billet, revenons à mon point de départ et mon expérience de première main dans l’édition numérique. Depuis 2017, le catalogue des Editions Contrechamps (environ 80 titres) est disponible sur la plateforme OpenEdition. Nos ouvrages numériques sont diffusés via la plupart des librairies en ligne, ou à travers les abonnements souscrits par les bibliothèques publiques. Nos nouveautés sont numérisées avec un délai de 6 mois à 1 ans après la sortie de la version papier.

Avec un recul de cinq années, mes observations sont en phase avec celles des intervenants du débat. Nos ventes de livres numériques augmentent régulièrement mais n’ont pas pris le pas sur les ventes papiers, voire ont tendance à plafonner à hauteur de 20% des ventes d’imprimés. La complémentarité entre les deux supports est une réalité tangible, et correspond en effet à des usages sensiblement différents : Avantage au numérique pour les recherches préparatoires, la lecture transversale et la citation, avantage au papier pour la lecture suivie, l’annotation et la prise de note.


Pour aller plus loin :


Consulter le 11e baromètre sur les usages du Livre numérique sortie en 2021, Livres imprimés, numériques et audio : diversité et complémentarité des usages, co-édité par le Syndicat national de l’Editions (SNE) et la Société des Gens de Lettres (SGDL) :

SOFIA_barometre_2021_VF
.pdf
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IMG_1666_recadree_vive.jpg

Jean-Alexis Toubhantz

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Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

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